• --------------

    L'oeil grand ouvert de l'ombre, orné de cils d'argent,
    Jette ses feux d'opale au sein de la vallée
    Qui sommeille et flamboie à la nuit étoilée,
    Comme un phosphore blond de la houle émergeant.

    Et sa grâce rayonne en la voûte emperlée,
    Radieuse parmi les hauts cirrus nageant,
    Et les jets refroidis de son halo changeant
    Nimbent les nénuphars sur la vague troublée.

    Lune très blanche, espoir de mes songes lassés,
    Toi, le flambeau veillant des soleils trépassés,
    Astre, nocturne fleur au jardin symbolique,

    Quand vient sourire en moi la volupté des soirs,
    O veille dans mon coeur, douce, mélancolique,
    Comme un parfum qui dort au fond des encensoirs.

    --------------

    Le vent qui grince, au fond des bois mornes et chauves,
    Comme des gonds rouillés sous d'énormes vantaux,
    Traîne lugubrement, le long des végétaux,
    Le pâle tourbillon des feuilles aux tons fauves.

    Dans le lointain, cachant la pente des coteaux,
    Dorment vieux troncs, rameaux, ponts croulants et guimauves;
    Et le merle fuyant vers les horizons mauves,
    Jette ses cris plaintifs aux vents orientaux.

    Dans les sillons, plus rien, rien sur la plaine nue;
    L'âme ressent en elle une crainte inconnue,
    Quand le frimas blanchit le sol dur et glacé.

    Et l'homme, frissonnant en sa triste demeure,
    Voit le ciel automnal ouvrir son flanc blessé
    Au soleil, souriant à la terre qui pleure.

    --------------

    Dressant vers l'horizon sa haute et lourde masse,
    Superbe comme un fils courroucé des titans,
    Il dresse ses rameaux à travers les autans,
    Dans le geste infernal d'un spectre qui grimace.

    C'est l'arbre mort, le chêne oublié des printemps...
    Il a vu bien des jours passer de cette place
    Alors qu'il défiait, plein de force et d'audace,
    De son chef orgueilleux le choc altier des temps.

    Il est seul, ô misère!... Et, sous la lune froide,
    Il dort, tout droit dans l'ombre, inaltérable et roide,
    Débris sublime : phare en son obscurité.

    Frères, sachez qu'un jour, parmi l'or blond des seigles,
    Il a, sous le grand ciel où grandit sa fierté,,
    Entre ses bras puissants d'alors, bercé des aigles.

    --------------

    Tout ce que je connais de vous?... Votre sourire,
    Quelque peu votre nom, vos grâces, vos cheveux,...
    J'ignore cependant le ciel pur de vos yeux,
    Mais je crois que votre âme en leur miroir se mire.

    Jamais je n'entendis murmurer votre voix...
    Mais je crois qu'elle doit être tendre et bien douce :
    Douce, comme un soupçon de brise, sur la mousse,
    Et tendre comme un chant de source sous les bois.

    Et jamais je ne sus les roseurs de vos lèvres,
    Non plus si votre coeur, jadis, a pu chanter...
    Mais je crois qu'on a dû, chère âme, palpiter
    Quelquefois aux baisers de rêves pleins de fièvres.

    Mais ce que je connais, le voici sans retour :
    Je connais qu'à vos airs charmeurs, mon âme est prise;
    Et pauvre papillon qu'un lis inconnu grise,
    Je vous connais assez pour vous aimer d'amour.

    --------------

    Vous dont le rêve chante aux chants des libertés
    Sur des chemins de roc ou des sentiers d'épines;
    Vous dont les coeurs nourris d'offrande ou de rapines
    Contiennent tant d'espoirs et tant d'étrangetés;

    Bohèmes, paladins traîneurs de vétustés,
    Coureurs des pics du nord aux landes cisalpines,
    Vivez sous vos haillons de lins ou de crépines
    Sans avoir senti Dieu s'abattre à vos côtés.

    Aux frères, émanés des primes équilibres,
    Seuls sous notre destin vous portez vos fronts libres
    Comme le flot qui passe et ne craint point l'écueil.

    Et puisque vous chantez parmi les fleurs des brandes,
    Je veux garder pour vous, de la vie au cercueil,
    La voix de mes amours immortellement grandes.

    --------------

    Chante pour moi ce soir, puisque ton âme chante,
    Revis les souvenirs dont l'amour est resté :
    Que ce soit d'une voix tranquille mais touchante,
    Ce fut pour toi, jadis, que mon coeur a chanté.

    Rêve de moi ce soir, puisque ton âme rêve,
    Cherche dans nos autans un songe inachevé,
    Que ton regard soit doux et ta vision brève
    Ce fut de toi jadis que mon coeur a rêvé.

    Pleure avec moi ce soir, puisque ton âme pleure
    Sur les parfums bien morts d'un jour énamouré.
    Sois celle que la nuit de sa grande aile effleure
    Ce fut pour toi, jadis, que mon coeur a pleuré.

    --------------

    Vous passiez, loin de moi, comme une vision
    Très douce : et mes regards, quand vous étiez passée,
    Vous revoyaient toujours au fond de ma pensée;
    Et je fermais les yeux, pleins de l'illusion...

    Longeant l'humble pavé qui borde l'avenue,
    - À l'heure du retour, heure de fol espoir, -
    Je vous voyais encor, ma tant douce inconnue,
    Et je vous bénissais d'avoir pu vous revoir...

    À quel plus grand bonheur pouvais-je alors prétendre!
    Et je disais : Mon Dieu! Si je pouvais l'entendre,
    Quelle ineffable joie aurait mon pur amour!

    Car qui m'aurait pu dire - ô mystère de l'Être!
    Que, rêveur abîmé dans l'éternel « Peut-être »
    J'aurais enfin l'honneur de vous parler un jour!

    --------------

    Comme des nuits, il est des jours,
    Où l'on sent que sombres toujours,
    Passent les choses;
    Des jours où l'on voit, sans rancoeurs,
    Crouler sur les débris des coeurs
    Les amours roses.

    Comme des jours, il est des soirs,
    Où bercés par nos vains espoirs,
    O rêves sombres!
    Des soirs où toutes voluptés
    Répandent parmi leurs clartés
    D'étranges ombres.

    Comme des soirs, il est des nuits,
    Où la voix lasse des ennuis
    Tremble à nos portes.
    Des nuits où le front dans la main,
    Nous pleurons sur le vieux chemin
    Des roses mortes.

    http://armanny.blogg.org

    http://www.ipernity.com/home/armanny


  • --------------

    A moi. L'histoire d'une de mes folies. Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.

    J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe,
    romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

    Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.

    J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

    Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.

    --------------

    Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
    L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
    Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
    A des parfums de vigne et des parfums de bière...

    --------------

    Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
    L'eau verte pénétra ma coque de sapin
    Et des taches de vins bleus et des vomissures
    Me lava, dispersant gouvernail et grappin

    --------------

    J'ai embrassé l'aube d'été.

    Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

    La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

    Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins: à la cime argentée je reconnus la déesse.

    Alors, je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

    En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.

    Au réveil il était midi.

    http://armanny.blogg.org

    http://www.ipernity.com/home/armanny


  • --------------

    Les caresses des yeux sont les plus adorables ;
    Elles apportent l'âme aux limites de l'être,
    Et livrent des secrets autrement ineffables,
    Dans lesquels seul le fond du cœur peut apparaître.

    Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d'elles ;
    Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;
    Rien n'exprime que lui les choses immortelles
    Qui passent par instants dans nos êtres frivoles.

    Lorsque l'âge a vieilli la bouche et le sourire
    Dont le pli lentement s'est comblé de tristesses,
    Elles gardent encor leur limpide tendresse ;

    Faites pour consoler, enivrer et séduire,
    Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes !
    Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?

    http://armanny.blogg.org

    http://www.ipernity.com/home/armanny


  • --------------

    " C'est moi ; - moi qui, du fond des siècles et des âges,
    Fis blanchir le sourcil et la barbe des sages ;
    La terre à peine ouverte au soleil souriant,
    C'est moi qui, sous le froc des vieux rois d'Orient,
    Avec la tête basse et la face pensive,
    Du haut de la terrasse et de la tour massive,
    Jetai cette clameur au monde épouvanté
    Vanité. vanité, tout n'est que vanité !
    C'est moi qui mis l'Asie aux serres d'Alexandre,
    Qui plus tard changeai Rome en un grand tas de cendre,
    Et qui, menant son peuple éventrer les lions,
    Sur la pourpre latine enfantai les Nérons.
    Partout j'ai fait tomber bien des dieux en poussière,
    J'en ai fait arriver d'autres à la lumière,
    Et sitôt qu'ils ont vu dominer leurs autels,

    A leur tour j'ai brisé ces nouveaux immortels.
    Ici-bas, rien ne peut m'arracher la victoire ;
    Je suis la fin de tout, le terme à toute gloire,
    Le vautour déchirant le cœur des nations,
    La main qui fait jouer les révolutions ;
    Je change constamment les besoins de la foule,
    Et partant le grand lit où le fleuve humain coule."
    Ah ! nous te connaissons, ce n'est pas d'aujourd'hui
    Que tu passes chez nous et qu'on te nomme Ennui,
    Prince des scorpions, fléau de l'Angleterre !
    Au sein de nos cités, fantôme solitaire,
    Jour et nuit l'on te voit, maigre et décoloré,
    Courir on ne sait où comme un chien égaré.
    Que de fois, fatigué de mâcher du gingembre,
    Dans ton mois le plus cher, dans ton mois de novembre,
    A d'horribles cordons tu suspends nos enfants,
    Ou leur ouvres le crâne avec des plombs brûlants !
    Arrière tes lacets et ta poudre maudite,
    Avec tes instruments va-t'en rendre visite
    Aux malheureux chargés de travaux continus !
    Ô sanglant médecin ! va voir les gueux tout nus
    Que la vie embarrasse et qui, sur chaque voie,
    Présentent à la mort une facile proie,
    Les mille souffreteux qui, sur leurs noirs grabats,
    Se plaignent d'être mal et de n'en finir pas ;
    Prends-les, monstre, et d'un coup termine leurs misères,
    Mais ne t'avance pas sur nos parcs et nos terres ;
    Respecte les richards, et ne traîne jamais
    Ton spectre maigre et jaune autour de nos palais.
    "Eh ! que me font à moi les soucis et les plaintes,
    Et les gémissements de vos races éteintes !
    Il faut bien que, jouant mon rôle de bourreau,
    Je remette partout les hommes de niveau.
    Ô corrompus ! ô vous que mon haleine enivre
    Et qui ne savez plus comment faire pour vivre,
    Qui sans cesse flottant, voguant de mers en mers,
    Sur vos planches de bois arpentez l'univers ;
    Cherchez au loin le vin et le libertinage,
    Et, passant par la France, allez voir à l'ouvrage
    Sur son rouge établi le sombre menuisier
    Travaillant un coupable et le rognant d'un pied ;
    Semez l'or et l'argent comme de la poussière ;
    Pour vos ventres blasés fouillez l'onde et la terre
    Inventez des plaisirs de toutes les façons,
    Que l'homme et l'animal soient les sanglants jetons.
    Et les dés palpitants des jeux épouvantables
    OÙ viendront s'étourdir vos âmes lamentables ;
    Qu'à vos ardents regards, sous des poings vigoureux,
    Les hommes assommés tombent comme des bœufs,
    Et que, sur le gazon des vallons et des plaines,
    Chevaux et cavaliers expirent sans haleine ;
    Malgré vos durs boxeurs, vos courses, vos renards,
    Sous le ciel bleu d'Espagne ou sous les gris brouillards,
    Et le jour et la nuit, sur l'onde, sur la terre,
    Je planerai sur vous, et vous aurez beau faire,
    Nouer de longs détours, revenir sur vos pas,
    Demeurer, vous enfuir : vous n'échapperez pas.
    J'épuiserai vos nerfs à cette rude course,
    Et nous irons ensemble, en dernière ressource,
    Heurter, tout haletants, le seuil ensanglanté
    De ton temple de bronze, ô froide cruauté ! "

    Ennui, fatal Ennui ! monstre au pâle visage,
    A la taille voûtée et courbée avant l'âge ;
    Mais aussi fort pourtant qu'un empereur romain,
    Comment se dérober à ta puissante main ?
    Nos envahissements sur le temps et l'espace
    Ne servent qu'à te faire une plus large place,
    Nos vaisseaux à vapeur et nos chemins de fer
    A t'amener vers nous plus vite de l'enfer :
    Lutter est désormais chose inutile et vaine,
    Sur l'univers entier ta victoire est certaine ;
    Et nous nous inclinons sous ton vent destructeur,
    Comme un agneau muet sous la main du tondeurs
    Verse, verse à ton gré les vapeurs homicides,
    Fais de la terre un champ de bruyères arides,
    De la voûte céleste un pays sans beauté,
    Et du soleil lui-même un orbe sans clarté ;
    Hébète tous nos sens, et ferme leurs cinq portes
    Aux désirs les plus vifs, aux ardeurs les plus fortes ;
    Dans l'arbre des amours jette un ver malfaisant,
    Et sur la vigne en fleurs un rayon flétrissant :
    Mieux que le vil poison, que l'opium en poudre,
    Que l'acide qui tue aussi prompt que la foudre,
    Que le blanc arsenic et tous les minéraux,
    Ouvrages ténébreux des esprits infernaux,
    Fais circuler le mal sur le globe où nous sommes,
    Jusqu'au dernier tissu ronge le cœur des hommes ;
    Et lorsque bien repu, vampire sensuel,
    A tes lèvres sans feu le plus chétif mortel
    Aura livré sa veine aride et languissante,
    Que la terre vaincue et toujours gémissante
    Aux bras du Suicide abandonne son corps,
    Et, sombre coroner, que l'ange noir des morts
    Rende enfin ce verdict sur le globe sans vie
    Ci-gît un monde mort pour cause de folie !

    http://armanny.blogg.org


  • --------------

    A l'heure où sur la mer le soir silencieux
    Efface les lointaines voiles,
    Où, lente, se déploie, en marche dans les cieux,
    L'armée immense des étoiles,

    Ne songes-tu jamais que ce clair firmament,
    Comme la mer a ses désastres ?
    Que, vaisseaux envahis par l'ombre, à tout moment
    Naufragent et meurent des astres ?

    http://armanny.blogg.org

    http://www.ipernity.com/home/armanny