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    Un invisible oiseau dans l'air pur a chanté.
    Le ciel d'aube est d'un bleu suave et velouté.

    C'est le premier oiseau qui chante.
    Ecoute ! Les jardins sont frémissants d'attente.

    Ecoute ! Un autre nid s'éveille, un autre nid,
    Et c'est un pépiement éperdu qui jaillit.

    Qui chanta le premier ? Nul ne sait. C'est l'aurore.
    Comme un abricot mûr le ciel pâli se dore.

    Qui chanta le premier ? Qu'importe ! On a chanté.
    Et c'est un beau matin de l'immortel été.

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    Je t'apporte ce soir ma natte plus lustrée
    Que l'herbe qui miroite aux collines de juin ;
    Mon âme d'aujourd'hui fidèle à toi rentrée
    Odore de tilleul, de verveine et de foin ;
    Je t'apporte cette âme à robe campagnarde.
    Tout le jour j'ai couru dans la fleur des moissons
    Comme une chevrière innocente qui garde
    Ses troupeaux clochetant des refrains aux buissons.
    Je fis tout bas ta part de pain et de fromage ;
    J'ai bu dans mes doigts joints l'eau rose du ruisseau
    Et dans le frais miroir j'ai cru voir ton image.
    Je t'apporte un glaïeul couché sur des roseaux.
    Comme un cabri de lait je suis alerte et gaie ;
    Mes sonores sabots de hêtre sont ailés
    Et mon visage a la rondeur pourpre des baies
    Que donne l'aubépine quand les mois sont voilés.
    Lorsque je m'en revins, dans les ombres pressées
    Le soc bleu du croissant ouvrait un sillon d'or ;
    Les étoiles dansaient cornues et lactées ;
    Des flûtes de bergers essayaient un accord.
    Je t'offre la fraîcheur dont ma bouche était pleine,
    Le duvet mauve encor suspendu dans les cieux,
    L'émoi qui fit monter ma gorge sous la laine
    Et la douceur lunaire empreinte dans mes yeux.

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    L'enchantement lunaire endormant la vallée
    Et le jour s'éloignant sur la mer nivelée
    Comme une barque d'or nombreuse d'avirons,
    J'ai rassemblé, d'un mot hâtif, mes agneaux ronds,
    Mes brebis et mes boucs devenus taciturnes
    Et j'ai pris le chemin des chaumières nocturnes.
    Que l'instant était doux dans le tranquille soir !
    Sur l'eau des rayons bleus étant venus s'asseoir
    Paraissaient des sentiers tracés pour une fée
    Et parfois se plissaient d'une ablette apeurée.
    Le troupeau me suivait, clocheteur et bêlant.
    Je tenais dans mes bras un petit agneau blanc
    Qui, n'ayant que trois jours, tremblait sur ses pieds roses
    Et restait en arrière à s'étonner des choses.
    Le silence était plein d'incertaines rumeurs,
    Des guêpes agrafaient encor le sein des fleurs,
    Le ciel était lilas comme un velours de pêche.
    Des paysans rentraient portant au dos leur bêche
    D'argent qui miroitait sous un dernier rayon,
    Et des paniers d'osier sentant l'herbe et l'oignon.
    Les champs vibraient encor du jeu des sauterelles.
    Je marchais. L'agneau gras pesait à mes bras frêles.
    Je ne sais quel regret me mit les yeux en pleurs
    Ni quel émoi me vint de ce cœur sur mon cœur,
    Mais soudain j'ai senti que mon âme était seule.
    La lune sur les blés roulait sa belle meule ;
    Par un même destin leurs jours étant liés,
    Mes brebis cheminaient auprès de leurs béliers ;
    Les roses défaillant répandaient leur ceinture
    Et l'ombre peu à peu devenait plus obscure.

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    Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu'il guérirait à côté de la fenêtre.

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    C'était grande assemblée des fées, pour procéder à la répartition des dons parmi tous les nouveau-nés, arrivés à la vie depuis vingt-quatre heures.

    Toutes ces antiques et capricieuses Sœurs du Destin, toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur, étaient fort diverses : les unes avaient l'air sombre et rechigné, les autres, un air folâtre et malin ; les unes, jeunes, qui avaient toujours été jeunes; les autres, vieilles, qui avaient toujours été vieilles.

    Tous les pères qui ont foi dans les Fées étaient venus, chacun apportant son nouveau-né dans ses bras.

    Les Dons, les Facultés, les bons Hasards, les Circonstances invincibles, étaient accumulés à côté du tribunal, comme les prix sur l'estrade, dans une distribution de prix. Ce qu'il y avait ici de particulier, c'est que les Dons n'étaient pas la récompense d'un effort, mais tout au contraire une grâce accordée à celui qui n'avait pas encore vécu, une grâce pouvant déterminer sa destinée et devenir aussi bien la source de son malheur que de son bonheur.

    Les pauvres Fées étaient très affairées ; car la foule des solliciteurs était grande, et le monde intermédiaire, placé entre l'homme et Dieu, est soumis comme nous à la terrible loi du Temps et de son infinie postérité, les Jours, les Heures, les Minutes, les Secondes.

    En vérité, elles étaient aussi ahuries que des ministres un jour d'audience, ou des employés du Mont-de-Piété quand une fête nationale autorise les dégagements gratuits. Je crois même qu'elles regardaient de temps à autre l'aiguille de l'horloge avec autant d'impatience que des juges humains qui, siégeant depuis le matin, ne peuvent s'empêcher de rêver au dîner, à la famille et à leurs chères pantoufles. Si, dans la justice surnaturelle, il y a un peu de précipitation et de hasard, ne nous étonnons pas qu'il en soit de même quelquefois dans la justice humaine. Nous serions nous-mêmes, en ce cas, des juges injustes.

    Aussi furent commises ce jour-là quelques bourdes qu'on pourrait considérer comme bizarres, si la prudence, plutôt que le caprice, était le caractère distinctif, éternel des Fées.

    Ainsi la puissance d'attirer magnétiquement la fortune fut adjugée à l'héritier unique d'une famille très riche, qui, n'étant doué d'aucun sens de charité, non plus que d'aucune convoitise pour les biens les plus visibles de la vie, devait se trouver plus tard prodigieusement embarrassé de ses millions.

    Ainsi furent donnés l'amour du Beau et la Puissance poétique au fils d'un sombre gueux, carrier de son état, qui ne pouvait, en aucune façon aider les facultés, ni soulager les besoins de sa déplorable progéniture.

    J'ai oublié de vous dire que la distribution, en ces cas solennels, est sans appel, et qu'aucun don ne peut être refusé.

    Toutes les Fées se levaient, croyant leur corvée accomplie ; car il ne restait plus aucun cadeau, aucune largesse à jeter à tout ce fretin humain, quand un brave homme, un pauvre petit commerçant, je crois, se leva, et empoignant par sa robe de vapeurs multicolores la Fée qui était le plus à sa portée, s'écria :

    « Eh! madame! vous nous oubliez! Il y a encore mon petit! Je ne veux pas être venu pour rien. »

    La Fée pouvait être embarrassée ; car il ne restait plus rien. Cependant elle se souvint à temps d'une loi bien connue, quoique rarement appliquée, dans le monde surnaturel, habité par ces déités impalpables, amies de l'homme, et souvent contraintes de s'adapter à ses passions, telles que les Fées, les Gnomes, les Salamandres, les Sylphides, les Sylphes, les Nixes, les Ondins et les Ondines, - je veux parler de la loi qui concède aux Fées, dans un cas semblable à celui-ci, c'est-à-dire le cas d'épuisement des lots, la faculté d'en donner encore un, supplémentaire et exceptionnel, pourvu toutefois qu'elle ait l'imagination suffisante pour le créer immédiatement.

    Donc la bonne Fée répondit, avec un aplomb digne de son rang : « Je donne à ton fils... je lui donne... le Don de plaire ! »

    « Mais plaire comment? Plaire...? Plaire pourquoi? » demanda opiniâtrement le petit boutiquier, qui était sans doute un de ces raisonneurs si communs, incapable de s'élever jusqu'à la logique de l'Absurde.

    «Parce que! Parce que! » répliqua la Fée courroucée, en lui tournant le dos; et rejoignant le cortège de ses compagnes, elle leur disait : « Comment trouvez-vous ce petit Français vaniteux, qui veut tout comprendre, et qui ayant obtenu pour son fils le meilleur des lots, ose encore interroger et discuter l'indiscutable? »

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    Celui dont les pensers, comme des alouettes,
    Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
    - Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
    Le langage des fleurs et des choses muettes!

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    Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables!

    Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions d'un sol, - telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, - et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.

    Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d'un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie.
    Le luxe, l'insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait faits d'une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté.

    A côté de lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d'une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l'enfant ne s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait :

    De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, pâle, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.

    A travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l'enfant pauvre montrait à l'enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c'était un rat vivant! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même.

    Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec des dents d'une égale blancheur.

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    Dans la course effarée et sans but de ma vie
    Dédaigneux des chemins déjà frayés, trop longs,
    J'ai franchi d'âpres monts, d'insidieux vallons.
    Ma trace avant longtemps n'y sera pas suivie.

    Sur le haut des sommets que nul prudent n'envie,
    Les fins clochers, les lacs, frais miroirs, les champs blonds
    Me parlent des pays trop tôt quittés. Allons,
    Vite ! vite ! en avant. L'inconnu m'y convie.

    Devant moi, le brouillard recouvre les bois noirs.
    La musique entendue en de limpides soirs
    Résonne dans ma tête au rythme de l'allure.

    Le matin, je m'éveille aux grelots du départ,
    En route ! Un vent nouveau baigne ma chevelure,
    Et je vais, fier de n'être attendu nulle part.

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    Au printemps, c'est dans les bois nus
    Qu'un jour nous nous sommes connus.

    Les bourgeons poussaient vapeur verte.
    L'amour fut une découverte.

    Grâce aux lilas, grâce aux muguets,
    De rêveurs nous devînmes gais.

    Sous la glycine et le cytise,
    Tous deux seuls, que faut-il qu'on dise ?

    Nous n'aurions rien dit, réséda,
    Sans ton parfum qui nous aida.

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    En été les lis et les roses
    Jalousaient ses tons et ses poses,

    La nuit, par l'odeur des tilleuls
    Nous en sommes allés seuls.

    L'odeur de son corps, sur la mousse,
    Est plus enivrante et plus douce.

    En revenant le long des blés,
    Nous étions tous deux bien troublés.

    Comme les blés que le vent frôle,
    Elle ployait sur mon épaule.

    --------------

    L'automne fait les bruits froissés
    De nos tumultueux baisers.

    Dans l'eau tombent les feuilles sèches
    Et sur ses yeux, les folles mèches.

    Voici les pèches, les raisins,
    J'aime mieux sa joue et ses seins.

    Que me fait le soir triste et rouge,
    Quand sa lèvre boudeuse bouge ?

    Le vin qui coule des pressoirs
    Est moins traître que ses yeux noirs.

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    C'est l'hiver. Le charbon de terre
    Flambe en ma chambre solitaire.

    La neige tombe sur les toits.
    Blanche ! Oh, ses beaux seins blancs et froids !

    Même sillage aux cheminées
    Qu'en ses tresses disséminées.

    Au bal, chacun jette, poli,
    Les mots féroces de l'oubli,

    L'eau qui chantait s'est prise en glace,
    Amour, quel ennui te remplace !

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    Le bassin est uni : sur son onde limpide
    Pas un souffle de vent ne soulève une ride ;
    Au lever du soleil, chaque flot argenté
    Court, par un autre flot sans cesse reflété ;
    Il répète ses fleurs, comme un miroir fidèle ;
    Mais la pointe des joncs sur la rive a tremblé...
    Près du bord, qu'elle rase, a crié l'hirondelle...
    Et l'azur du lac s'est troublé !

    Au sein du bois humide, où chaque feuille est verte,
    Où le gazon touffu boit la rosée en pleurs,
    Où l'espoir des beaux jours rit dans toutes les fleurs,
    Aux baisers du printemps, la rose s'est ouverte ;
    Mais au fond du calice un insecte caché
    Vit, déchirant la fleur de sa dent acérée...
    Et la rose languit, pâle et décolorée
    Sur son calice desséché !

    Un passé tout rempli de chastes jouissances,
    Des baisers maternels, du calme dans le port ;
    Un présent embelli de vagues espérances
    Et de frais souvenirs... amis, voilà mon sort !
    L'avenir n'a pour moi qu'un gracieux sourire ;
    J'ai dix-huit ans ! mon âge est presque le bonheur...
    Je devrais être heureux... non ! mon âme désire...
    Et j'ai du chagrin dans le cœur !...

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    C'était un soir que tout brillait de feux ;
    Un soir qu'éclatant de lumières,
    Tivoli lassait les paupières
    De mille curieux.

    Là, des bosquets blanchis ; là, des masses plus sombres ;
    Des soleils de cristal, des jours brusques, des ombres
    Qui s'allongent sur le gazon ;
    Aux branches des ormeaux des lampes suspendues ;
    Des nacelles dans l'air ; d'innombrables statues
    Et des choeurs qui dansent en rond !

    Ô jardins enchantés ! scènes éblouissantes !
    Brises du soir ! zéphyrs ! haleines caressantes !
    Air brûlant, imprégné de désirs et d'amour !
    Femmes, qu'on suit de l'œil de détour en détour !
    Tumulte ! bals confus, aux amants si propices !
    Tourbillon entraînant ! Tivoli !... - Quand mon cœur,
    Froissé par le dégoût, mais ardent au bonheur,
    Voudra du souvenir savourer les délices,
    J'irai sous tes arceaux, à la place où brilla,
    Comme un astre d'argent, comme un blanc météore,
    Comme un premier éclat d'une naissante aurore,
    Cette belle inconnue... Et je dirai : " C'est là ! "

    C'est là quelle s'assit, rêveuse
    Et fermant ses yeux à demi :
    Là qu'elle demeura, pâle et silencieuse,
    Près d'un vieil époux endormi.

    Malheureuse peut-être au sein de la richesse !
    Malheureuse peut-être avec tant de jeunesse !...
    Comme elle était belle, grand Dieu !
    Et je l'oublîrais, moi !... j'oublîrais sa tristesse
    Et son regard qui semblait un adieu !...

    Non !... non, jamais ! - Un jour, dans les fêtes bruyantes,
    De plaisir, de beauté, des femmes rayonnantes,
    Pourront étaler à mes yeux
    De leurs dix-huit printemps les grâces orgueilleuses,
    Et tracer, en riant, dans leurs danses joyeuses,
    Des pas voluptueux.

    Quand je verrai leurs rangs s'ouvrir à mon passage,
    Quand j'aurai vu rougir leur gracieux visage,
    Peut-être alors mon cœur palpitera ;
    A mes regards une autre sera belle :
    Mais je dirai : Ce n'est pas elle...
    Et mon bonheur s'envolera.

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