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    Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
    La mer calme, la mer au murmure endormeur,
    Au large, tout là-bas, lente s'est retirée,
    Et son sanglot d'amour dans l'air du soir se meurt.

    La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
    Au profond de son lit de nacre inviolé
    Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
    Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.

    La mer aime le ciel : c'est pour mieux lui redire,
    À l'écart, en secret, son immense tourment,
    Que la fauve amoureuse, au large se retire,
    Dans son lit de corail, d'ambre et de diamant.

    Et la brise n'apporte à la terre jalouse,
    Qu'un souffle chuchoteur, vague, délicieux :
    L'âme des océans frémit comme une épouse
    Sous le chaste baiser des impassibles cieux.

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    Octobre glorieux sourit à la nature.
    On dirait que l'été ranime les buissons.
    Un vent frais, que l'odeur des bois fanés sature,
    Sur l'herbe et sur les eaux fait courir ses frissons.

    Le nuage a semé les horizons moroses,
    De ses flocons d'argent. Sur la marge des prés,
    Les derniers fruits d'automne, aux reflets verts et roses,
    Reluisent à travers les rameaux diaprés.

    Forêt verte qui passe aux tons chauds de l'orange ;
    Ruisseaux où tremble un ciel pareil au ciel vernal ;
    Monts aux gradins baignés d'une lumière étrange.
    Quel tableau ! quel brillant paysage automnal !

    À mi-côte, là-bas, la ferme ensoleillée,
    Avec son toit pointu festonné de houblons,
    Paraît toute rieuse et comme émerveillée
    De ses éteules roux et de ses chaumes blonds.

    Aux rayons dont sa vue oblique est éblouie,
    L'aïeul sur le perron familier vient s'asseoir :
    D'un regain de chaleur sa chair est réjouie,
    Dans l'hiver du vieillard, il fait moins froid, moins noir.

    Calme et doux, soupirant vers un lointain automne,
    Il boit la vie avec l'air des champs et des bois,
    Et cet étincelant renouveau qui l'étonne
    Lui souffle au cœur l'amour des tendres autrefois.

    De ses pieds délicats pressant l'escarpolette,
    Un jeune enfant s'enivre au bercement rythmé,
    Semblable en gentillesse à la fleur violette
    Que l'arbuste balance au tiède vent de mai.

    Près d'un vieux pont de bois écroulé sur la berge,
    Une troupe enfantine au rire pur et clair,
    Guette, sur les galets qu'un flot dormant submerge,
    La sarcelle stridente et preste qui fend l'air.

    Vers les puits dont la mousse a verdi la margelle,
    Les lavandières vont avec les moissonneurs ;
    Sous ce firmament pâle éclate de plus belle
    Le charme printanier des couples ricaneurs.

    Et tandis que bruit leur babillage tendre,
    On les voit déroulant la chaîne de métal
    Des treuils mouillés, descendre et monter et descendre
    La seille d'où ruisselle une onde de cristal.

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    Beau monstre de Nature, il est vrai, ton visage
    Est noir au dernier point, mais beau parfaitement :
    Et l'Ebène poli qui te sert d'ornement
    Sur le plus blanc ivoire emporte l'avantage.

    Ô merveille divine, inconnue à notre âge !
    Qu'un objet ténébreux luise si clairement ;
    Et qu'un charbon éteint, brûle plus vivement
    Que ceux qui de la flamme entretiennent l'usage !

    Entre ces noires mains je mets ma liberté ;
    Moi qui fus invincible à toute autre Beauté,
    Une Maure m'embrasse, une Esclave me dompte.

    Mais cache-toi, Soleil, toi qui viens de ces lieux
    D'où cet Astre est venu, qui porte pour ta honte
    La nuit sur son visage, et le jour dans ses yeux.

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    La nuit d'hiver étend son aile diaphane
    Sur l'immobilité morne de la savane
    Qui regarde monter, dans le recueillement,
    La lune, à l'horizon, comme un saint-sacrement.
    L'azur du ciel est vif, et chaque étoile blonde
    Brille à travers les fûts de la forêt profonde.
    La rafale se tait, et les sapins glacés,
    Comme des spectres blancs, penchent leurs fronts lassés
    Sous le poids de la neige étincelant dans l'ombre.
    La savane s'endort dans sa majesté sombre,
    Pleine du saint émoi qui vient du firmament.
    Dans l'espace nul bruit ne trouble, un seul moment,
    Le transparent sommeil des gigantesques arbres
    Dont les troncs sous le givre ont la pâleur des marbres.
    Seul, le craquement sourd d'un bouleau qui se fend
    Sous l'invincible effort du grand froid triomphant
    Rompt d'instant en instant le solennel silence
    Du désert qui poursuit sa rêverie immense.

    Tout à coup, vers le nord, du vaste horizon pur
    Une rose lueur émerge dans l'azur,
    Et, fluide clavier dont les étranges touches
    Battent de l'aile ainsi que des oiseaux farouches,
    Eparpillant partout des diamants dans l'air,
    Elle envahit le vague océan de l'éther.
    Aussitôt ce clavier, zébré d'or et d'agate,
    Se change en un rideau dont la blancheur éclate,
    Dont les replis moelleux, aussi prompts que l'éclair,
    Ondulent follement sur le firmament clair.
    Quel est ce voile étrange, ou plutôt ce prodige ?

    C'est le panorama que l'esprit du vertige
    Déroule à l'infini de la mer et des cieux.
    Sous le souffle effréné d'un vent mystérieux,
    Dans un écroulement d'ombres et de lumières,
    Le voile se déchire, et de larges rivières
    De perles et d'onyx roulent dans le ciel bleu,
    Et leurs flots, tout hachés de volutes de feu,
    S'écrasent et, trouant les archipels d'opale,
    Déferlent par-dessus une montagne pâle
    De nuages pareils à des vaisseaux ancrés
    Dans les immensités des golfes éthérés,
    Et puis, rejaillissant sur des vapeurs compactes,
    Inondent l'horizon de roses cataractes.
    Le voile en un clin d'œil se reforme plus beau,
    Lové comme un serpent, flottant comme un drapeau.
    Plus rapide cent fois qu'un jet pyrotechnique,
    Il fait en pétillant un sabbat fantastique,
    Et met en mouvement des milliers de soleils
    A travers des brouillards transparents et vermeils
    Comme cristallisés dans la plaine éthérée.
    Quelquefois on dirait une écharpe nacrée
    Qu'un groupe de houris secouerait en volant
    Dans l'incommensurable espace étincelant ;
    Tantôt on le prendrait pour le réseau de toiles
    Que Prométhée étend pour saisir les étoiles,
    Ou pour le tablier sans bornes dans lequel
    Les anges vanneraient des roses sur le ciel.

    Et la forêt regarde, enivrée, éblouie.
    Se dérouler au loin cette scène inouïe ;
    Et l'orignal, le mufle en avant, tout tremblant,
    Les quatre pieds cloués sur un mamelon blanc,
    L'œil grand ouvert, au bord de la savane claire,
    Fixe depuis longtemps l'auréole polaire
    Poudroyant de ses feux le céleste plafond,
    Et son extase fauve en deux larmes se fond.

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    Un enfant élevé dans un pauvre village
    Revint chez ses parents, et fut surpris d'y voir
    Un miroir.
    D'abord il aima son image ;
    Et puis, par un travers bien digne d'un enfant,
    Et même d'un être plus grand,
    Il veut outrager ce qu'il aime,
    Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
    Alors son dépit est extrême ;
    Il lui montre un poing menaçant,
    Il se voit menacé de même.
    Notre marmot fâché s'en vient, en frémissant,
    Battre cette image insolente ;
    Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ;
    Et, furieux, au désespoir,
    Le voilà devant ce miroir,
    Criant, pleurant, frappant la glace.
    Sa mère, qui survient, le console, l'embrasse,
    Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
    N'as-tu pas commencé par faire la grimace
    A ce méchant enfant qui cause ton dépit ?
    - Oui. - Regarde à présent : tu souris, il sourit ;
    Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ;
    Tu n'es plus en colère, il ne se fâche plus :
    De la société tu vois ici l'emblème ;
    Le bien, le mal, nous sont rendus.

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    Je sais rouler une amourette
    En cigarette,
    Je sais rouler l'or et les plats !
    Et les filles dans de beaux draps !

    Ne crains pas de longueurs fidèles :
    Pour mules mes pieds ont des ailes ;
    Voleur de nuit, hibou d'amour,
    M'envole au jour.

    Connais-tu Psyché ? - Non ? - Mercure ?...
    Cendrillon et son aventure ?
    - Non ? -... Eh bien ! tout cela, c'est moi :
    Nul ne me voit.

    Et je te laisserais bien fraîche
    Comme un petit Jésus en crèche,
    Avant le rayon indiscret...
    - Je suis si laid ! -

    Je sais flamber en cigarette,
    Une amourette,
    Chiffonner et flamber les draps,
    Mettre les filles dans les plats !

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    Va vite, léger peigneur de comètes !
    Les herbes au vent seront tes cheveux ;
    De ton oeil béant jailliront les feux
    Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...

    Les fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
    Foisonneront plein ton rire terreux...
    Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...

    Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
    Pour les croque-morts sont de simples jeux,
    Boîtes à violon qui sonnent le creux...
    Ils te croiront mort - Les bourgeois sont bêtes -
    Va vite, léger peigneur de comètes !

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