• Petrus Borel

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    Là dans ce sentier creux, promenoir solitaire
    De mon clandestin mal,
    Je viens tout souffreteux, et je me couche à terre
    Comme un brute animale.
    Je viens couver ma faim, la tête sur la pierre,
    Appeler le sommeil.
    Pour étancher un peu ma brûlante paupière ;
    Je viens user mon écot de soleil !

    Là-bas dans la cité, l'avarice sordide
    Des chefs sur tout champart :
    Au mouton-peuple on vend le soleil et le vide ;
    J'ai payé, j'ai ma part !
    Mais sur tous, tous égaux devant toi, soleil juste,
    Tu verses tes rayons,
    Qui ne sont pas plus doux au front d'un Sire auguste,
    Qu'au sale front d'une gueuse en haillons.

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    Sous le soleil torride au beau pays créole,
    Où l'Africain se courbe au bambou de l'Anglais,
    Encontre l'ouragan, le palmier qui s'étiole
    Aux bras d'une liane unit son bois épais.

    En nos antiques bois, le gui, saint parasite,
    Au giron d'une yeuse et s'assied et s'endort ;
    Mêlant sa fragile herbe, et subissant le sort
    Du tronc religieux qui des autans l'abrite.

    Gui ! liane ! palmier ! mon âme vous envie !
    Mon cœur voudrait un lierre et s'enlacer à lui.
    Pour passer mollement le gué de cette vie,
    Je demande une femme, une amie, un appui !

    - Un ange d'ici-bas ?... une fleur, une femme ?...
    Barde, viens, et choisis dans ce folâtre essaim
    Tournoyant au rondeau d'un preste clavecin. -
    Non; mon coeur veut un coeur qui comprenne son âme.

    Ce n'est point au théâtre, aux fêtes, qu'est la fille
    Qui pourrait sur ma vie épancher le bonheur :
    C'est aux champs, vers le soir, groupée en sa mantille,
    Un Verther à la main sous le saule pleureur.

    Ce n'est point une brune aux cils noirs, l'air moresque ;
    C'est un cygne indolent; une Ondine aux yeux bleus
    Aussi grands qu'une amande, et mourans, soucieux ;
    Ainsi qu'en réfléchit le rivage tudesque.

    Quand viendra cette fée ? - En vain ma voix l'appelle !
    Apporter ses printemps à mon cœur isolé.
    Pourtant jusqu'aux cyprès je lui serais fidèle !
    Sur la plage toujours resterai-je esseulé ?

    Sur mon toit le moineau dort avec sa compagne ;
    Ma cavale au coursier a donné ses amours.
    Seul, moi, dans cet esquif, que nul être accompagne,
    Sur le torrent fougueux je vois passer mes jours.

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