• Bruno Schultz

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    « Les Boutiques de cannelle donnent une certaine recette de la réalité, présupposent un certain genre, très spécial, de substance ; la substance de sa réalité est en état de fermentation incessante, de germination, de vie secrète. Il n'y a pas d'objets morts, durs, limités. Elle déforme tout objet au-delà de ses limites, ne dure qu'un instant dans une forme donnée, pour l'abandonner à la première occasion. Dans les coutumes, dans les manières d'être de cette réalité se révèle une sorte de principe : une mascarade généralisée. La réalité prend certaines formes seulement pour l'apparence, plaisanterie, jeu. Si l'un existe en tant qu'homme et un autre en tant que cafard, cette forme n'atteint pas l'être en profondeur, ce n'est qu'un rôle endossé pour un moment, superficiellement, dans un instant il n'y paraîtra plus. Ce qui est affirmé là, c'est l'extrême monisme de la substance pour laquelle les objets individuels ne sont que des masques. La vie de la substance consiste dans l'usage d'un nombre illimité de masques. Cette errance des formes est le principe même de la vie. C'est pourquoi de cette substance émane l'aura de l'ironie universelle. Il y a là de manière permanente une atmosphère de coulisses, d'arrière-scène où les acteurs ayant jeté leurs costumes se moquent du pathos de leurs rôles. Dans le fait même de l'existence individuelle il y a de l'ironie, de la raillerie, la langue triste du bouffon qui nargue. (...) Quel est le sens de cette désillusion universelle devant la réalité, je ne saurais dire. J'affirme seulement qu'elle ne serait pas supportable si elle n'offrait un dédommagement dans quelque autre dimension. D'une certaine façon nous ressentons une profonde satisfaction dans ce relâchement de la trame de la réalité, nous nous intéressons à cette banqueroute. (...) En tant que réponse spontanée de la vie, l'art assigne des tâches à l'éthique, et non pas le contraire. Si l'art ne devait que confirmer ce qui est déjà établi par ailleurs, il serait inutile. Son rôle est d'être une sonde plongée dans l'innommable. L'artiste est un appareil enregistrant des processus en profondeur, là où se forme la valeur. »

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