• Léon Dierx

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    Couché sur le dos, dans le vert gazon,
    Je me baigne d'ombre et de quiétude.
    Mes yeux ont enfin perdu l'habitude
    Du spectacle humain qui clôt la prison
    Du vieil horizon.

    Là-bas, sur mon front passent les nuages.
    Qu'ils sont beaux, mon âme ! et qu'ils sont légers,
    Ces lointains amis des calmes bergers !
    S'en vont-ils portant de divins messages,
    Ces blancs messagers ?

    Comme ils glissent vite ! - Et je pense aux femmes
    Dont la vague image en nous flotte et fuit.
    Le vent amoureux qui de près les suit
    Disperse ou confond leurs fluides trames ;
    On dirait des âmes !

    Rassemblant l'essor des désirs épars,
    Ivre du céleste et dernier voyage,
    À quelque âme errante unie au passage,
    Mon âme ! là-haut, tu me fuis, tu pars
    Comme un blanc nuage !

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    La nuit glisse à pas lents sous les feuillages lourds ;
    Sur les nappes d'eau morte aux reflets métalliques,
    Ce soir traîne là-bas sa robe de velours ;
    Et du riche tapis des fleurs mélancoliques,
    Vers les massifs baignés d'une fine vapeur,
    Partent de chauds parfums dans l'air pris de torpeur.
    Avec l'obsession rythmique de la houle,
    Tout chargés de vertige, ils passent, emportés
    Dans l'indolent soupir qui les berce et les roule.
    Les gazons bleus sont pleins de féeriques clartés ;
    Sur la forêt au loin pèse un sommeil étrange ;
    On voit chaque rameau pendre comme une frange,
    Et l'on n'entend monter au ciel pur aucun bruit.
    Mais une âme dans l'air flotte sur toutes choses,
    Et, docile au désir sans fin qui la poursuit,
    D'elle-même s'essaye à ses métempsycoses.
    Elle palpite et tremble, et comme un papillon,
    A chaque instant, l'on voit naître dans un rayon
    Une forme inconnue et faite de lumière,
    Qui luit, s'évanouit, revient et disparaît.
    Des appels étouffés traversent la clairière
    Et meurent longuement comme expire un regret.
    Une langueur morbide étreint partout les sèves ;
    Tout repose immobile, et s'endort ; mais les rêves
    Qui dans l'illusion tournent désespérés,
    Voltigent par essaims sur les corps léthargiques
    Et s'en vont bourdonnant par les bois, par les prés,
    Et rayant l'air du bout de leurs ailes magiques.
    - Droite, grande, le front hautain et rayonnant,
    Majestueuse ainsi qu'une reine, traînant
    Le somptueux manteau de ses cheveux sur l'herbe,
    Sous les arbres, là-bas, une femme à pas lents
    Glisse. Rigidement, comme une sombre gerbe,
    Sa robe en plis serrés tombe autour de ses flancs.
    C'est la nuit ! Elle étend la main sur les feuillages,
    Et tranquille, poursuit, sans valets et sans pages,
    Son chemin tout jonché de fleurs et de parfums.
    Comme sort du satin une épaule charnue,
    La lune à l'horizon sort des nuages bruns,
    Et plus languissamment s'élève large et nue.
    Sa lueur filtre et joue à travers le treillis
    Des feuilles ; et, par jets de rosée aux taillis,
    Caresse, en la sculptant dans sa beauté splendide,
    Cette femme aux yeux noirs qui se tourne vers moi.
    Enveloppée alors d'une auréole humide,
    Elle approche, elle arrive : et, plein d'un vague effroi,
    Je sens dans ces grands yeux, dans ces orbes sans flamme,
    Avec des sanglots sourds aller toute mon âme.
    Doucement sur mon cœur elle pose la main.
    Son immobilité me fascine et m'obsède,
    Et roidit tous mes nerfs d'un effort surhumain.
    Moi qui ne sais rien d'elle, elle qui me possède,
    Tous deux nous restons là, spectres silencieux,
    Et nous nous contemplons fixement dans les yeux.

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    Sous l'épais treillis des feuilles tremblantes,
    Au plus noir du bois la lune descend ;
    Et des troncs moussus aux cimes des plantes,
    Son regard fluide et phosphorescent
    Fait trembler aux bords des corolles closes
    Les larmes des choses.

    Lorsque l'homme oublie au fond du sommeil,
    La vie éternelle est dans les bois sombres ;
    Dans les taillis veufs du brûlant soleil
    Sous la lune encor palpitent leurs ombres,
    Et jamais leur âme, au bout d'un effort,
    Jamais ne s'endort !

    Le clair de la lune en vivantes gerbes
    Sur les hauts gazons filtre des massifs.
    Et les fronts penchés, les pieds dans les herbes,
    Les filles des eaux, en essaims pensifs,
    Sous les saules blancs en rond sont assises,
    Formes indécises.

    La lune arrondit son disque lointain
    Sur le bois vêtu d'un brouillard magique
    Et dans une eau blême aux reflets d'étain ;
    Et ce vieil étang, miroir nostalgique,
    Semble ton grand oeil, ô nature ! Hélas !
    Semble un grand oeil las.

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