• Andrée Chédid

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    J'ai une forge dans le cœur.
    Je sens plus pourpre que l'aurore,
    Plus noyé que l'algue,
    Plus lointain que la mouette,
    Plus creux que les puits.
    Mais je ne donne naissance
    Qu'à l'écaille et qu'aux grains.

    Ma langue se prend aux mots:
    Je n'exprime plus blanc,
    Je ne dis plus noir;
    A peine le gris d'une falaise rongée,
    Le bref vertige d'une ombre,
    L'hirondelle entrevue
    Et l'iris deviné.

    Où sont les justes paroles,
    Le feu sans agonie,
    Le poème final ?
    En quel lieu est la vie ?

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    Toutes ces brumes
    Issues de nos chagrins

    Tous ces orages
    Qui bataillent entre nos tempes

    Toutes ces ombres
    Qui emmurent l'espérance

    Tous ces cris
    Qui entravent notre chant

    Toutes ces craintes
    Qui retiennent nos pas

    Toutes les clartés
    Qui naissent de ces remous !

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    Parcourir l'Arbre
    Se lier aux jardins
    Se mêler aux forêts
    Plonger au fond des terres
    Pour renaître de l'argile

    Peu à peu
    S'affranchir des sols et des racines
    Gravir lentement le fût
    Envahir la charpente
    Se greffer aux branchages

    Puis dans un éclat de feuilles
    Embrasser l'espace
    Résister aux orages
    Déchiffrer les soleils
    Affronter jour et nuit

    Cheminer d'arbre en arbre
    Explorant l'éphémère
    Aller d'arbre en arbre
    Dépistant la durée.

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    Recueillir le grain des heures
    Étreindre l'étincelle
    Ravir un paysage
    Absorber l'hiver avec le rire
    Dissoudre les nœuds du chagrin
    S'imprégner d'un visage
    Moissonner à voix basse
    Flamber pour un mot tendre
    Embrasser la ville et ses reflux
    Écouter l'océan en toutes choses
    Entendre les sierras du silence
    Transcrire la mémoire des miséricordieux
    Relire un poème qui avive
    Saisir chaque maillon d'amitié

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    Laquelle de nos nuits s'incline si bas
    Qu'elle nous force à toucher cendres
    Laquelle de nos nuits nous prend pour cible
    Détisse ou rompt le jour

    Comment retrouver l'aube
    Et son métal dissous
    Avec quoi reforger le fanal ?

    De quel œil rivé sur l'horizon
    Défier la carapace des ombres
    De quel cri saluer l'éclair entrevu ?

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